20 avril 2018
par Benjamin Stanislas
Pourquoi préférer le Prédictif à l’Incertitude
Le recrutement prédictif est très en vogue, à juste titre, car les outils sont de plus en plus nombreux et sophistiqués. Depuis l’époque des premiers tests de personnalité au travail, d’autres tests se sont ajoutés, notamment les tests cognitifs. La mesure du potentiel des candidats, sur la base de critères objectifs est aussi très utilisée en entreprise.
Ces tests, se multipliant, à des prix souvent à la baisse ; les éditeurs récoltent une manne de données qui va renforcer le caractère prédictif en y ajoutant la couche statistique.
Le recrutement est donc suffisamment outillé aujourd’hui pour prétendre être prédictif. S’il est si prédictif, comment se fait-il qu’il y ai toujours autant d’erreurs de casting ?
L’objet de ce billet n’est pas de prendre position sur la réalité du caractère prédictif.
La question que nous souhaitons aborder est le pourquoi de ce besoin du prédictif. Pourquoi pensons-nous que l’incertitude est si terrible et surtout, si peu manageable !
Ne tombons pas dans l’angélisme ou dans la naïveté, le recrutement se doit d’être le plus prédictif possible pour quelques raisons évidentes :
• Recruter constitue un coût pour l’entreprise, il est naturel qu’elle s’assure qu’elle dépense le mieux possible.
• Une erreur de recrutement est encore plus coûteuse, pas seulement pour l’argent dépensé mais aussi par le fait que l’employé recruté n’a pas généré les revenus attendus et pour tous les dommages collatéraux difficilement évaluables.
• Bien connaître un employé en amont, permet de mieux préparer son intégration et son management
A elles seules, ces trois raisons suffisent à mobiliser les meilleures ressources et à multiplier les outils pour garantir le recrutement.
Il n’en demeure pas moins que l’incertitude existe, surtout dans l’évaluation des qualités humaines et dans la « prévision » des comportements.
Nous reposons alors la question sous une autre forme : est-ce que le souhait de s’approcher du recrutement le plus prédictif possible ne reflète pas aussi notre peur de l’incertitude ? Est-ce que le screening objectif des softskills, des motivations et des capacités cognitives des candidats ne risque pas de masquer d’autres qualités : artistiques, empathiques, sportives, spirituelles ; que nous craignons de voir, faute de pouvoir les manager ?
Il y a un véritable danger à ne se focaliser que sur les statistiques visibles car elles nous font passer à côté d’évènements fondamentaux qui restent hors statistiques.
C’est Le Cygne Noir de Nassim Nicholas TALEB.
Daniel Kahneman, Prix Nobel d’économie en 2002, a montré que nombres de nos jugements ne sont pas rationnels alors même nous en sommes souvent persuadés. Or nos jugements dépendent de nombreux biais, comme le montre son ouvrage Système 1, Système 2. Cela signifie avant tout que notre système de jugement premier, intuitif, ne se base pas sur des statistiques. Nombre de nos décisions ne sont pas rationnelles.
Pas rationnel, pas objectif, ne s’appuyant pas sur des statistiques ; tout cela ne signifie pas que ce n’est pas bien, voire, que ce n’est pas fiable. Cela reflète juste la réalité de nos prises de décision.
Précisons quand même que, dès lors que nous sommes confrontés à une situation complexe qui nécessite de nous appuyer sur des calculs ou sur une réflexion rationnelle ; nous savons le faire sans trop de difficultés ; pourvu que nous en ayons les moyens. Nous sommes donc capables de devenir plus calculateurs et plus rationnels, si nécessaire ; mais jamais complètement.
Le problème provient de l’illusion que nos décisions sont rationnelles et que nous les prenons parce que nous disposons de toutes les informations. Or, nos actions sont le fruit de prises de décisions qui sont biaisées et par conséquent, qui produisent des conséquences inattendues.
Or, au lieu d’accepter cette réalité qui fait la richesse de l’humain, nous entretenons l’illusion que nos décisions sont rationnelles et ont donc un caractère prédictif.
Cela pose deux problèmes qui vont nous ramener au recrutement prédictif :
1. Persuadés que nous construisons des modèles absolument prédictifs, nous négligeons volontairement des éléments que nous ne maitrisons pas car ils n’ont pas de caractères répétitifs.
2. Nous nous trompons en pensant que nous avons pris une décision qui aura les conséquences attendues et, à ce titre, ne sommes pas préparés à l’incertain, au nouveau.
Autrement dit, de la même façon que les analystes économiques ne prévoient jamais les grosses crises parce qu’elles sont précisément imprévisibles ; que personne n’aurait parié sur l’élection de Donald Trump un an avant ; nous ne pouvons pas prédire ce que sera le comportement final de tel employé, un an après son embauche. Le fait d’entretenir l’illusion que nous maitrisons tout et de construire un modèle de recrutement sur cette illusion mène à deux écueils :
1. Nous refusons de tenir compte de qualités qui n’entrent pas dans une évaluation objective et rationnelle. Il est en effet possible de comparer le leadership, ou le caractère méticuleux de deux candidats. Il est en revanche plus difficile, de comparer les qualités artistiques d’un candidat avec les qualités empathiques d’un autre, sur un poste qui ne nécessite fondamentalement aucune de ces deux qualités. Notre souhait de parvenir coûte que coûte à un recrutement prédictif, nous oblige à ne pas voir ces qualités. Ce n’est pas très humain !
2. Le second écueil est qu’armé de nos certitudes, nous ne nous préparons pas à l’incertitude et ne prévoyons pas d’outils de management adéquats. Or, l’évènement incertain va se produire (c’est certain ! ) et il peut s’avérer être une véritable opportunité pour l’entreprise.
Contrairement à ce que pourrait laisser penser ce billet, nous croyons dans la qualité des outils d’évaluation et à la nécessité de process de recrutement rigoureux et structurés. Ceux-ci permettent de comparer objectivement les candidats.
C’est d’ailleurs parce que nous formulons l’hypothèse que ces approches sont fiables, qu’il est nécessaire de la remettre en question. Une hypothèse, pour être scientifiquement admissible, doit être réfutable. L’honnêteté intellectuelle nous force donc à ne pas adhérer à une position tranchée en faveur ou en défaveur du Recrutement Prédictif.
Il est juste nécessaire de ne pas se bercer d’illusion et surtout de se tenir prêt à accueillir l’inattendu, le non-prédictif, qui fait la richesse de l’homme et enrichira son entreprise.
Le propos de cette partie de notre blog sera donc d’alimenter une réflexion pour tendre vers un « recrutement prédictif » car il est éminemment nécessaire de s’outiller face aux coûts exorbitants d’une erreur de recrutement ; tout en gardant à l’esprit que le caractère imprévisible de chaque employé peut enrichir l’entreprise.
Peut-être pourrons-nous rationnaliser un process tout en construisant un environnement professionnel propice à accueillir les qualités « secondaires » et à les valoriser.