Lou Laurence PELLETIER est psychosociologue clinicienne et chercheuse en Sciences humaines et sociales.
A partir de son expérience professionnelle, elle a soutenue une thèse intitulée « La Fabrique du burn-out » à l’ESCP, dans une approche pluridisciplinaire.
Sa recherche fut notamment motivée quand elle assista à un évènement singulier qu’elle raconte en ces termes :
« Un manager est nommé à un poste à responsabilité dans une grande entreprise. Il est jeune et dynamique, prêt à relever les défis nombreux qui se posent, après la perte de marchés importants et des réductions massives d’effectifs. Six mois après, il est en arrêt pour burn-out. En tant que psychosociologue clinicienne, j’interroge alors le médecin du travail qui indique que son prédécesseur n’avait tenu que quatre mois, comme celui qui l’avait précédé d’ailleurs. Il précise aussi que cette situation est classique dans cette organisation, concernant certains postes, ce quels que soient les profils des personnes recrutées1. »
L’idée selon laquelle le burn-out est le produit d’une dynamique collective s’impose à elle. C’est cette dynamique qu’elle décrit au terme de sa recherche2. Nous essayons ici de la résumer.
Elle donne à cette dynamique le nom de Terridealité, qui est la contraction de Terreur, Idéal et Réalité. Quand un individu est plongé malgré lui dans un contexte induisant de la terreur inconsciente, le mécanisme de défense consiste à idéaliser son environnement ainsi que les responsables de cette terreur. Cet Idéal tient alors sur la construction d’une Pseudo-réalité, créée de toute pièce. qui est créée de toute pièce. Terreur, Idéal, Réalité.
C’est le seul moyen de défense mais c’est aussi un cercle vicieux car il éloigne de la vraie réalité, entraine le déni des souffrances réelles et force les victimes à s’impliquer d’autant plus dans ce processus. Bien que reposant sur des fondations fragiles, cette défense est terriblement efficace. Elle cède quand la réalité s’impose à l’organisation et quand les défenses de certains de ses membres ne sont plus suffisantes, bref quand les digues s’effondrent.
Voici les étapes du déroulement observé par Lou Pelletier :
1- L’emprise et l’accélération.
Cette première phase commence par un changement professionnel grâce auquel le travailleur s’implique particulièrement dans son travail. Cette implication est alors soutenue par l’organisation et par la communication institutionnelle. Le contexte professionnel est souvent menaçant. L’auteure cite des plans de licenciements mais la crise sanitaire que nous traversons encore, montre qu’un contexte menaçant global constitue aussi une menace.
Dans la mesure où le contexte est menaçant, le changement proposé rassure aussi le travailleur, la communication finissant d’idéaliser son implication. Cela offre ainsi une défense efficace. On est grisé, plein d’émotions positives ! Tout s’accélère.
Paradoxalement, le changement proposé prenant une dimension salvatrice, l’enjeu est plus important et l’échec plus grave. La menace se fait Terreur. En effet, être menacé de licenciement est préoccupant ; porter la responsabilité d’autres licenciements est terrorisant.
A ce stade, il est important de noter que si l’implication du travailleur n’était pas enchâssée dans un idéal, elle rencontrerait rapidement des limites réelles qui s’imposeraient au travailleur. Dès le début du processus, celui du changement dans un contexte menaçant, l’organisation fabrique donc les conditions de l’emprise et du burn-out.
2- Le décollage par l’idéologie
Les échecs et déconvenues sont cependant inévitables. Elles sont aussi très difficiles à vivre car elles renvoient à la terreur sourde. L’idéal de réussite est alors soutenu par une idéologie qui s’exprime au travers de six commandements et injonctions inébranlables, inconscientes, que l’auteure a pu recueillir lors d’accompagnements cliniques de sujets en burn-out, en individuel et en groupe:
« L’idéal, c’est toujours plus », « Ce qui compte, c’est le compteur », « Tout doit disparaître, dans une accélération spatiale et temporelle », « Être un super héros, sinon rien », « Si tu as un problème, tu es un problème » et « Tout est possible, avec des solutions ». Le chiffre est omniprésent, érigé en véritable Totem. L’évaluation n’est plus un indicateur mais le Graal à atteindre. L’idéologie règne en maître, le travailleur est dépersonnalisé.
3- Appauvrissement de la Pensée, Santé affectée
Cette idéologie remplace progressivement l’imaginaire et le symbolique, autant chez le travailleur qu’au sein de l’organisation. Elle est statique, tout y est prédéfini ; y compris et surtout les solutions. Elle empêche donc de donner du sens à l’avenir et de s’y projeter avec enthousiasme. Tout est analysé par le prisme de l’idéologie, laquelle est au service de l’organisation et de ses besoins. Les émotions n’ont plus leur place.
Cet aspect est essentiel car il nous semble être un point de bascule. S’impliquer dans son travail et dans l’organisation au travers de l’idéologie constitue une soumission. Il n’offre par conséquent aucune estime de soi.
Il existe par ailleurs des formes d’implications excessives, certes mauvaises pour la santé mais relevant de choix individuels. Elles permettent parfois d’avoir de belles carrières et nourrissent une forte estime de soi. Ces implications sont aux antipodes du burn-out. Elles ne décrivent pas les mêmes dynamiques individuelles et collectives.
Au contraire de cela, travailler par idéologie ne nourrit pas l’estime de soi. Cette perte d’estime de soi accentue la terreur d’être exclus de cette dynamique professionnelle qui est devenue une défense.
C’est la raison pour laquelle les personnes en proie au burn-out sont incapables de changer d’employeur, ils n’ont plus confiance en leur propre capacité d’action.
4- Fusion et prise de position
L’implication sans limites crée une bulle narcissique, dominée par un sentiment de toute puissance ; lequel est le miroir d’une profonde et réelle impuissance et d’une fuite en avant. De la confusion des sentiments à la fusion avec le groupe, il n’y a qu’un pas.
Le groupe se consolide par le rejet de ce qui est extérieur, que ce soit des personnes, des idées ou des projets. Trois attitudes se dégagent alors :
1. L’attitude tyrannique : on impose ses idées
2. L’attitude perverse qui est dans la jouissance de la souffrance de l’autre. Une souffrance qu’on s’emploie à accentuer par la pression du chiffre et du harcèlement quotidien
3. L’attitude cryptique de celui qui est anéanti et soluble dans cette dynamique
Ces trois attitudes ont ceci en commun qu’elles s’imposent à la réalité, et non pas l’inverse. Qu’on impose des idées de façon tyrannique, qu’on impose des chiffres et des objectifs ou qu’on se dissolve dans ce processus ; le résultat est la construction d’une organisation en rupture totale avec la réalité.
Il ne s’agit donc pas de trois personnalités mais de rôles que l’organisation malade, impose à ses employés d’endosser. Ces trois attitudes sont le produit de cette dynamique collective inconsciente. Un système d’emprise dont il est très difficile de sortir.
Nous sommes dans cœur du cyclone mais d’autres victimes collatérales sont aussi touchées ; ne serait-ce que pour alimenter le sentiment de terreur.
5- Rupture face à la réalité & l’effondrement
La réalité s’impose cependant nécessairement à un moment. C’est la fin des illusions !
La réalité, ce sont les limites du possible. Evidemment, on pense à l’effondrement du corps, notamment de celui ou celle qui a endossé le costume cryptique.
Une question se pose cependant : pourquoi les autres membres n’ont pas empêché cet effondrement ? Le pervers et le tyran n’ont-ils pas vu qu’un des membres de cette confrérie fusionnelle allait s’effondrer. Qui le tyran va-t-il tyranniser ? De quelle souffrance le pervers va-t-il jouir ? Ceci d’autant plus que l’organisation n’a aucun intérêt à se passer des services d’une personne très impliquée et fidèle.
Pardonnez le parallèle, mais même Eichmann, chef des SS, a su ménager ses soldats pour les mener au bout du combat et de leurs insoutenables tâches. Mais lui voulait aller au bout.
Dans notre cas, Lou Pelletier nous explique que le détonateur de l’effondrement d’une personne est le moment où la menace sur l’organisation devient tangible et ne peut plus être niée. La réalité s’impose à l’organisation et tout le système défensif s’effondre. C’est l’ensemble de l’organisation qui crie. Pour se faire entendre, elle « s’acharne » sur le rôle le plus exposé, celui qui a le moins de défense.
Ce qui nous apparaît à la lumière crue est la souffrance d’un individu mais, à y regarder de plus près, c’est souvent un service de l’entreprise qui est visé et certaines positions spécifiques qui deviennent intenables.
La personnalité du travailleur exposé est certes un élément qui entre en ligne de compte mais qui reste secondaire, tant le processus organisationnel enclenché ne laissait que peu d’issue à la situation.
Lou Pelletier poursuit son analyse et ses préconisations que vous pouvez consulter sur ses différents articles et dans nos webinars.
Pour notre part, nous retenons que le point de départ est souvent un évènement banal qui survient dans un contexte menaçant, mais pas non plus insurmontable. Les personnes touchées par le burn-out se retrouvent aussi souvent à des postes similaires. Les ferments du burn-out sont donc à chercher dans la dynamique de l’organisation et dans l’idéologie qu’elle impose sous couvert de management.